sak ifé nout jordu ék nout demin

Succession de Sudel Fuma à l'Université de La Réunion


Citoyen
Vendredi 10 Juin 2016

​Nous acteurs de la société civile, au travers de nos associations, vous vous faisons parvenir ce jour en pièce jointe, une lettre ouverte adressée à l’administration de l’Université de Nantes, à l’administration de l’Université de la Réunion, M. le Recteur de l’Académie de La Réunion, Chancelier des Universités, Monsieur Vélayoudom Marimoutou, ainsi qu’au Président de la République, et aux différents ministres de l’Administration française, aux élus de la Réunion, Députés, Sénateurs, Président du Conseil Régional, du Conseil départemental et de tous les maires des communes de la Réunion.


Quand les Nantais choisissent l’héliotropisme en lieu et place de l’éthique scientifique !

Suite à notre rencontre avec le Conseil d’administration restreint, le 26 mai 2016, au sujet du recrutement d’un Maître de Conférence en Histoire de l’esclavage, de l’engagisme et de l’économie sucrière dans les colonies du Sud-Ouest de l’océan Indien au XVIII° et XIX° siècles, en remplacement de Monsieur Sudel Fuma, décédé tragiquement le 12 juillet 2014, nous, acteurs de la société civile, souhaitons répondre aux universitaires nantais signataires d'un courrier adressé aux médias et aux institutions le 24 mai 2016.

Ce courrier est non seulement insultant à notre égard, mais il l'est aussi pour l'ensemble de la population réunionnaise car des termes tels que "violente", "déni", "mesquin", "médiocrité", et "vociférations" y sont entre autres consignés. Nous, personnes engagées dans le monde associatif, tenons à dénoncer ces propos dont le cynisme n'a d'égal que le courage de ces personnes à se réfugier derrière un pseudo-cadre institutionnel et un règlement, au nom de l'impartialité et de l'universalité scientifique. Et c'est là où le bât blesse, car suite au C.A. du 26 mai 2016, notre démarche militante nous a conduits à rencontrer les différents acteurs mis en cause par Mohamed Rochdi afin d'approfondir notre compréhension de la situation, non pas au nom de l'universalité, mais en terme d'équité, car il nous apparaissait trop simple de devoir se ranger aux arguments somme toute restrictifs de celui qui se présente plus en tant que protagoniste de cette nomination plutôt que garant de la rigueur scientifique du comité de sélection, celui là même qui a débuté son allocution en nous disant qu'il ne savait pas ce qu'était un Réunionnais.

N'en déplaise à votre Université, messieurs et mesdames les professeurs de Nantes, il y a parmi nous des docteurs en Sciences Humaines, des personnes de la société civile auxquelles vous ne semblez accorder aucune légitimité ni de capacité d'expertise alors même qu'elles ont œuvré auprès de M. Sudel Fuma, et se soucient de son héritage historique et de sa succession, car il s'agit dans cette affaire de mettre fin à une humiliation qui remonte à des temps obscurs pour les Réunionnais. Il se trouve précisément, que nous avons découvert à notre grand regret, au travers de nos rencontres et entretiens auprès des enseignants et administratifs de l'établissement, des modifications répétées dans la composition et le fonctionnement du comité de sélection, des  «  indisponibilités » des membres externes de cette commission, ainsi qu’un climat délétère instauré depuis plusieurs années quant à l’organisation des élections pour la présidence du Conseil d’administration. Mais nous ne nous attarderons pas ici sur ces dysfonctionnements qui, nous en sommes certains, trouveront leur issue dans le cadre du tribunal administratif et de la justice française.

Nous dénonçons avec force et gravité votre courrier qui dénote une pensée unilatérale et une posture néocoloniale, revendiquant “une histoire ‘métropolitaine’ décentrée et impartiale” face à une supposée incompétence réunionnaise intrinsèque à son insularité et dépourvue d’objectivité. Cette attitude coutumière se perd dans un universalisme ‘antiraciste’ qui produit encore plus de racisme. Car ce qui nous est exposé, dans ce courrier, n'est qu’une conception “nantaise” de la recherche en sciences humaines et particulièrement en histoire. 

D'où notre questionnement sur la teneur de vos propos : Vous osez dire qu’une personne agrégée et titulaire d’un doctorat en histoire ne pourrait être égale à une doctorante nantaise ? Sur quoi fondez-vous cette affirmation et ce mépris ? Votre méconnaissance de l'histoire et de la culture réunionnaise est flagrante. Contrairement, à votre protégée qui dans certains travaux tend à mettre en avant le communautarisme, Sudel Fuma a fait tout le contraire et son œuvre est là pour le prouver. Et l’on peut se demander si vous avez une lecture sérieuse de notre situation ? Vos informations sont-elles analysées avec toute l’objectivité nécessaire? Nous réfutons tout complexe d'infériorité, qui nous empêcherait, nous Réunionnais, d'avancer en nous enfermant dans une automutilation, et qui nous réduirait à l'incapacité d'une auto-analyse. Il est frappant d’entendre aujourd’hui encore des propos qui nous ramènent à l’époque coloniale et esclavagiste de la part d'universitaires qui prétendent pouvoir enseigner l’esclavage à la Réunion sur un mode archaïque et nostalgique qu’ils qualifient d’approche scientifique. Ce qui nous éloigne de l’enseignement de Sudel Fuma qui prônait une restauration de la conscience historique réunionnaise, face à un système de corruption et de répression millénaire.
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Nous acteurs de la société civile, au travers de nos associations, sommes pour le développement d'une pensée réunionnaise et une réappropriation de notre histoire et notre passé culturel. En quoi cela vous semble t-il réfutable du point de vue de l’objectivité scientifique ? Vous ne pouvez ignorer que l'histoire de l'esclavage a été racontée par ceux-là mêmes qui esclavagisaient, et que compte tenu de la condition des esclaves et de leurs descendants, nous disposons de peu de sources autres que celles des institutions, sans compter celles qui ont été volontairement brûlées. La France, Pays des Droits de l’Homme et du Citoyen a laissé perpétuer le Code Noir bien après la Révolution Française.
C’est pour toutes ces raisons qu’une candidature réunionnaise est plus appropriée pour aborder l'histoire et ses problématiques sous un autre angle que celui, trop longtemps ethno centré autour de la République Française. Il nous semble important de mettre en avant un regard réunionnais sur notre propre histoire, un changement de perspectives, d’autres concepts, et d’autres alternatives que ceux hérités d’un conformisme latent ; c'est précisément ce qu'a fait Sudel Fuma, cette décolonisation de l’histoire et son appropriation par les Réunionnais. Et c’est sans doute pour cette raison que sa posture scientifique a pu être mal vue par les milieux académiques français, dont vous semblez être le porte-flambeau, mais qui est saluée partout ailleurs dans le monde, sa chaire à l'UNESCO en est la preuve.

Nous tenons à vous faire savoir que la manipulation de la construction de notre identité qui est racialisée par une position élitiste (à l'inverse de la position subversive et populaire qu'avait M. Fuma,) ne fait pas partie de notre vision. Oui, il faut de la diversité dans l'unité pour qu'il y ait mouvement, or Mme Chaillou-Atrous prône plutôt le clivage. Le projet STARACO (Statuts, « Race » et Couleurs dans l’Atlantique de l’Antiquité à nos jours) dans lequel s’inscrit votre candidate pourrait de part son intitulé être aussi chahuté en matière d’objectivité puisqu’il comporte le concept de « race », terme que Claude Lévi-Strauss a remis en cause dans son ouvrage Race et histoire, race et culture. Les raccourcis, comme ceux dont vous êtes les auteurs, amènent les gens à s'amputer de leur identité. Scientifiquement, il s'agit d'établir une histoire de l'esclavage qui ne soit pas annexée à l'histoire de la République française, et nous devons innover, là où des groupes sociaux ont été privés de leur histoire depuis des siècles.
Le combat de Sudel, au-delà de son œuvre universitaire, était un combat contre l'ignorance, il s'inscrivait dans une posture d'émancipation, en facilitant l’accès des individus à l'histoire et à la connaissance.

Pour le KDAS

J. Claude Barret


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