Situant à moins deux kilomètres de chez moi, me voilà parti, traversant à mon rythme un petit sentier se trouvant au dessus de la route des Tamarins pour une arrivée quelques dizaines minutes plus tard, face à ce patrimoine historique. Souvenez-vous en, que l’Usine a fermé ses portes en 1978, racheté par la Région Réunion en 1986 puis devenue Musée en 1991(actuellement fermé depuis 2011 pour un vaste et ambitieux projet réhabilitation avec des nouvelles technologies, des spectacles audiovisuels, des espaces muséographiques, salles d’exposition, nouvelles technologies multimédia, jeu interactif…dit-on) en attendant sa prochaine ouverture.
Á l’approche au fur et à mesure de ce lieu magique, qui avait stimulé beaucoup d’animations à l’époque, quand l’activité de l’Usine battait son plein. Une voix m’interpellait dans ce long silence du matin : ôté jean Claude, ôté Lelin ! Cette résonnance venait de la voix d’un « gramoune » de connaissance, toujours avec ce même chapeau kaki, abimé par le temps, assis sous l’un des deux derniers vieux calebassiers de Stella, au dessus de sa tête quelques fruits sont accrochés au tronc.
Cet arbre usé et fatigué, par peut-être plus d’une centaine d’années existences, a été témoin de toutes les palabres de l’histoire du quartier et de ses enfants, alors que ses fruits (calebasses) ont été des récipients utiles à toutes sortes d’usages de l’époque.
Ainsi, ce «gramoune de 86 ans» m’invitant à prendre place à ses côtés sous ce vieux calebassier, lui qui a travaillé dans cette Usine au moins pendant 44 années mais aussi petit pécheur gaulette dans les moments perdus, quand il était plus jeune, se met à me causer sans s’arrêter.
« Mon garçon, zordi mi entend, requin par ici, requin par la bas, avant la vé poin tou sa là. Zordi i interdit domoun rent’ dans la mer, il fo protège lo corail, lo band’ poissons…avant nou té ramass’ corail po lo four à chaud, l’isine la vé besoin la cho. Marmaille la vé poin travail i partait rode in cari poisson la mer, la vé poin délinquance. Zordi tout’ lé interdit, gouvernement i protège lo poisson, i protège la mer, i protège lo lagon… mais zot i construit dé si la mer, dé si band pas géométrique, personne i di rien…Zordi i protège lo tangue, lo zanguille, lo band pétrel, même torti nana l’hôpital po soigne à zot. Lo parc des hauts, po encore protège band pié bois ou d’autres zanimos…
Mais mon garçon, à nou, ki sa i regard’ à nou ? Ki sa i protège à nou ? Ki i rogard’ et protège band’ personnes handicapées ou personnes âgées fragilisées souvent sans moyen? Ki i rogard’ band chômeurs qui rode un travail ? Ki i rogard’ lo 60% band’ jeunes au chômage ? Ki occup’ nout band illettrés qui augmentent ? Kosa ban’ na i fé contre la violence dé si z’enfants, dé si vié mounes, dé si band fam’?
Zordi moin lé dans malizé, la misère i augmente, pourtant moin la cotise pendant 44 ans, lo ptit moné mi gaigne lé pas assez po paye tout zaffaires na na, band taxe i augmente…
Tout’ band politique i di, VOT PO ZOT, aprè zot no ra pouvoir po aide à nou. Z’élection fini, guet’ dan’ un trou, ni continu ral lo diab’ par la qué…
Achevant sa sentence, d’une voix plaignante il me dit « Si zordi na na parc po protège poisson, requin, corail… na na parc po protège lé haut, à kose zot i demand pas band poisson, requin, band pié boi vot’ po zot ? ».
Au même moment, une calebasse se décroche de l’arbre et se brise à nos pieds dans un bruit sourd. Il m’a regardé droit dans les yeux et m’averti « Afors tan alé à lo un jour kalbas i pète ».
Alors quelle est la morale de ce message subliminal ? A-t-il voulu me dire que nos dirigeants s’occupent plus aujourd’hui de la faune, de la flore que l’Humain ? A-t-il voulu me dire qu’on protège plus, ceux qui ont des moyens énormes que ceux qui sont les plus fragiles ?
A nos politiques maintenant de porter réponse à ce message pour que l’un et l’autre soient traités les plus humainement possibles.