Y aurait-il quelque chose de militaire chez Paul Vergès ? Il est vrai que le terme de "militant" est proche étymologiquement et qu'il fut un jeune lieutenant dans les Forces Françaises libres, quittant La Réunion à 18 ans, puis parachuté dans le Poitou, après une formation militaire à Ribbesford, en Angleterre. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il serait peut-être resté dans l'armée, mais passer de la Résistance contre le fascisme à la guerre coloniale d'Indochine, pas question pour lui, fils d'une Vietnamienne, admirateur de Ho Chi Minh et éduqué selon des principes anticolonialistes par son père ! En tout cas, combattant, oui !
Aussi préféra-t-il militer à la Section coloniale du Parti Communiste Français qui était alors un lieu de rencontres avec, en particulier, des futurs dirigeants de pays d'Afrique et du Maghreb. Une dimension internationaliste en fidélité à Marx et qui restera une constante. Et puis, une certaine Laurence Deroin y travaille. C'est le début d'une longue vie partagée qui ne s'achèvera qu'avec la disparition de Laurence en novembre 2012.
Amarré à La Réunion
Si son frère Jacques a vécu sa vie en dehors de La Réunion, de même que Jean et Simone nés d'un précédent mariage, Paul Vergès avait confié à Thierry Jean-Pierre : "J'estimais que mon destin se jouait à La Réunion" (Vergès et Vergès, de l'autre côté du miroir, JC Lattès, 2000, p. 87). On est en 1955 et la bataille autour de l'usine sucrière de Quartier français est pour lui comme une initiation à l'action politique réunionnaise. Cet épisode a inspiré au Théâtre Vollard la pièce Quartier Français en 2002 et l'opéra Chin en 2010. Au-delà du souvenir personnel et de l'art de jouer des contradictions de la classe adverse, cet engagement s'est poursuivi par le souci constant du devenir de la canne. Il est intarissable sur l'origine coloniale de cette culture, après l'indépendance de Haïti en 1804, sur l'importance du chemin de fer pour transporter le sucre des usines au port de la Pointe des galets, enfin sur les incertitudes actuelles concernant les quotas garantis.
Et les choses s'enchaînent. 1956, Paul Vergès a 31 ans, il est élu député avec Raymond Mondon. 1959, au Port, naît le Parti Communiste Réunionnais. "Communiste" car Léon Feix, dirigeant du PCF tenait à ce qualificatif, alors que le jeune secrétaire général de cette nouvelle formation, bien que lecteur assidu de Marx et de Lénine, aurait souhaité un front plus large appelé "Parti Réunionnais pour la liberté" (PRL) (Cf. D'une île au monde, entretiens avec Brigitte Croisier, L'Harmattan, 1993, pp. 181-183). Nul doute que dans le contexte international de la Guerre froide et des indépendances des pays colonisés, l'épithète de "communiste" associé à la revendication "d'autonomie démocratique et populaire" a nourri fantasmes et crispations de l'Etat français.
Ces oppositions très rudes firent des années 60 un combat constant entre le camp des départementalistes, dits "nationaux", sous la férule de Michel Debré, et les autonomistes stigmatisés comme "séparatistes". Les 28 mois de clandestinité de Paul Vergès, de mars 1964 à juillet 1966, en sont l'expression la plus mémorable, inscrivant le secrétaire général du PCR dans la tradition du marronnage. Expérience politique fondamentale permettant à un dirigeant de plonger au cœur des représentations et pratiques réunionnaises, le maloya par exemple, mais aussi de tester la force de solidarités dépassant parfois les clivages politiques apparents.
C'est en tant que maire du Port, élu en 1971, qu'il mit en œuvre concrètement ses conceptions à travers un ambitieux plan d'aménagement urbain qui révolutionna l'aspect de la ville portuaire et la vie de ses habitants. En 1983, toujours au Port, il constitua la première intercommunalité réunionnaise (SIVOMR, Syndicat intercommunal à vocation multiple de La Réunion). Après une période de vives critiques, ce mode d'organisation administrative est aujourd'hui généralisé à toutes les communes de La Réunion.
Aux luttes pour la liberté de vote (contre la fraude électorale), pour la liberté d'expression (saisies du journal Témoignages), pour l'égalité sociale ("Nou lé pa plis, nou lé pa mwin" disait Laurent Vergès), s'est ajoutée la réflexion sur les conditions d'un "développement durable et solidaire" dans une île tropicale. L'intérêt porté aux énergies renouvelables et le projet du Tram-Train furent ainsi parmi les axes essentiels du Président du Conseil régional (1998-2010).
Sur tous les fronts
A un moment où les alarmes des scientifiques sur le changement climatique ne cessent de résonner d'un peu partout, il est bon de rappeler que Paul Vergès a tenu à en montrer les risques pour La Réunion et le monde, cela dès les années 90. Dès lors et plus particulièrement en tant que président de l'ONERC (Observatoire national des effets du réchauffement climatique), il n'a pas cessé de le faire en invitant à prévoir l'adaptation à ces changements redoutables. Mais, depuis Cassandre, on sait qu'annoncer le pire se retourne souvent contre le lanceur d'alertes. De plus, il faut croire que les analyses dépassant les préoccupations immédiates ont du mal à marquer les esprits. Enfin, le lien entre les difficultés économiques et sociales de la vie quotidienne et les impératifs écologiques n'est peut-être pas si évident. Pourtant produire, consommer, se déplacer autrement mobilise la responsabilité, favorise la solidarité et, en fin de compte, nous permettra de vivre mieux.
Difficile, impossible de restituer 90 années d'une vie vouée à son pays, La Réunion, que Paul Vergès regarde à la fois avec affection et malice. S'il ne résiste guère au plaisir de faire quelques remarques ironiques sur les façons de faire des uns et des autres, il a toujours souligné la richesse de la culture réunionnaise que la Maison des Civilisations et de l'Unité Réunionnaise devait exalter. Ce projet aurait permis de mieux connaître les processus originaux de construction, de transmission et de transformation des héritages culturels.
Voici, vite dit, un rappel trop court d'une longue vie.
Bon anniversaire donc à Paul Vergès, homme politique réunionnais dont l'action s'est déployée sur une bonne partie du XXe siècle et qui se poursuit ici et maintenant, en ce début d'un XXIe siècle sans boussole.
Bon anniversaire à Paul Vergès, un homme, profondément attaché à l'image de son père, appelé affectueusement "le Vieux" et dont il a voulu porter plus loin l'action.
Bon anniversaire à Paul Vergès, un homme qui a surmonté les atteintes à sa santé, un homme qui a subi en particulier les pertes douloureuses de son fils Laurent en 1988, de son épouse Laurence en 2012, de son frère Jacques en 2013.
Bon anniversaire à Paul Vergès, un homme, rien qu'un homme, in Moun.
Aussi préféra-t-il militer à la Section coloniale du Parti Communiste Français qui était alors un lieu de rencontres avec, en particulier, des futurs dirigeants de pays d'Afrique et du Maghreb. Une dimension internationaliste en fidélité à Marx et qui restera une constante. Et puis, une certaine Laurence Deroin y travaille. C'est le début d'une longue vie partagée qui ne s'achèvera qu'avec la disparition de Laurence en novembre 2012.
Amarré à La Réunion
Si son frère Jacques a vécu sa vie en dehors de La Réunion, de même que Jean et Simone nés d'un précédent mariage, Paul Vergès avait confié à Thierry Jean-Pierre : "J'estimais que mon destin se jouait à La Réunion" (Vergès et Vergès, de l'autre côté du miroir, JC Lattès, 2000, p. 87). On est en 1955 et la bataille autour de l'usine sucrière de Quartier français est pour lui comme une initiation à l'action politique réunionnaise. Cet épisode a inspiré au Théâtre Vollard la pièce Quartier Français en 2002 et l'opéra Chin en 2010. Au-delà du souvenir personnel et de l'art de jouer des contradictions de la classe adverse, cet engagement s'est poursuivi par le souci constant du devenir de la canne. Il est intarissable sur l'origine coloniale de cette culture, après l'indépendance de Haïti en 1804, sur l'importance du chemin de fer pour transporter le sucre des usines au port de la Pointe des galets, enfin sur les incertitudes actuelles concernant les quotas garantis.
Et les choses s'enchaînent. 1956, Paul Vergès a 31 ans, il est élu député avec Raymond Mondon. 1959, au Port, naît le Parti Communiste Réunionnais. "Communiste" car Léon Feix, dirigeant du PCF tenait à ce qualificatif, alors que le jeune secrétaire général de cette nouvelle formation, bien que lecteur assidu de Marx et de Lénine, aurait souhaité un front plus large appelé "Parti Réunionnais pour la liberté" (PRL) (Cf. D'une île au monde, entretiens avec Brigitte Croisier, L'Harmattan, 1993, pp. 181-183). Nul doute que dans le contexte international de la Guerre froide et des indépendances des pays colonisés, l'épithète de "communiste" associé à la revendication "d'autonomie démocratique et populaire" a nourri fantasmes et crispations de l'Etat français.
Ces oppositions très rudes firent des années 60 un combat constant entre le camp des départementalistes, dits "nationaux", sous la férule de Michel Debré, et les autonomistes stigmatisés comme "séparatistes". Les 28 mois de clandestinité de Paul Vergès, de mars 1964 à juillet 1966, en sont l'expression la plus mémorable, inscrivant le secrétaire général du PCR dans la tradition du marronnage. Expérience politique fondamentale permettant à un dirigeant de plonger au cœur des représentations et pratiques réunionnaises, le maloya par exemple, mais aussi de tester la force de solidarités dépassant parfois les clivages politiques apparents.
C'est en tant que maire du Port, élu en 1971, qu'il mit en œuvre concrètement ses conceptions à travers un ambitieux plan d'aménagement urbain qui révolutionna l'aspect de la ville portuaire et la vie de ses habitants. En 1983, toujours au Port, il constitua la première intercommunalité réunionnaise (SIVOMR, Syndicat intercommunal à vocation multiple de La Réunion). Après une période de vives critiques, ce mode d'organisation administrative est aujourd'hui généralisé à toutes les communes de La Réunion.
Aux luttes pour la liberté de vote (contre la fraude électorale), pour la liberté d'expression (saisies du journal Témoignages), pour l'égalité sociale ("Nou lé pa plis, nou lé pa mwin" disait Laurent Vergès), s'est ajoutée la réflexion sur les conditions d'un "développement durable et solidaire" dans une île tropicale. L'intérêt porté aux énergies renouvelables et le projet du Tram-Train furent ainsi parmi les axes essentiels du Président du Conseil régional (1998-2010).
Sur tous les fronts
A un moment où les alarmes des scientifiques sur le changement climatique ne cessent de résonner d'un peu partout, il est bon de rappeler que Paul Vergès a tenu à en montrer les risques pour La Réunion et le monde, cela dès les années 90. Dès lors et plus particulièrement en tant que président de l'ONERC (Observatoire national des effets du réchauffement climatique), il n'a pas cessé de le faire en invitant à prévoir l'adaptation à ces changements redoutables. Mais, depuis Cassandre, on sait qu'annoncer le pire se retourne souvent contre le lanceur d'alertes. De plus, il faut croire que les analyses dépassant les préoccupations immédiates ont du mal à marquer les esprits. Enfin, le lien entre les difficultés économiques et sociales de la vie quotidienne et les impératifs écologiques n'est peut-être pas si évident. Pourtant produire, consommer, se déplacer autrement mobilise la responsabilité, favorise la solidarité et, en fin de compte, nous permettra de vivre mieux.
Difficile, impossible de restituer 90 années d'une vie vouée à son pays, La Réunion, que Paul Vergès regarde à la fois avec affection et malice. S'il ne résiste guère au plaisir de faire quelques remarques ironiques sur les façons de faire des uns et des autres, il a toujours souligné la richesse de la culture réunionnaise que la Maison des Civilisations et de l'Unité Réunionnaise devait exalter. Ce projet aurait permis de mieux connaître les processus originaux de construction, de transmission et de transformation des héritages culturels.
Voici, vite dit, un rappel trop court d'une longue vie.
Bon anniversaire donc à Paul Vergès, homme politique réunionnais dont l'action s'est déployée sur une bonne partie du XXe siècle et qui se poursuit ici et maintenant, en ce début d'un XXIe siècle sans boussole.
Bon anniversaire à Paul Vergès, un homme, profondément attaché à l'image de son père, appelé affectueusement "le Vieux" et dont il a voulu porter plus loin l'action.
Bon anniversaire à Paul Vergès, un homme qui a surmonté les atteintes à sa santé, un homme qui a subi en particulier les pertes douloureuses de son fils Laurent en 1988, de son épouse Laurence en 2012, de son frère Jacques en 2013.
Bon anniversaire à Paul Vergès, un homme, rien qu'un homme, in Moun.