sak ifé nout jordu ék nout demin

MESSAGE D’UN FRERE REUNIONNAIS A SON FRERE MAHORAIS


Culture - Kiltir
Samedi 28 Mai 2016

Toi mon Frère de Mayotte, toi mon frère en indocéanité, toi mon frère en humanité ;


Accorde à ton frère Réunionnais que je suis, juste cinq minutes de ton temps, car il est impérieux et urgent que je te dise certaines choses. Tu m’en voudrais affreusement si, en de pareilles circonstances, je devais garder le silence. Nous ne serions pas frères sinon.

 

Je veux m’adresser non seulement à ton intelligence, mais surtout, oui surtout, à ton cœur et à ton humanité. Je sais que tu n’en es pas dépourvu. Je te connais car depuis toujours nous vivons l’un à côté de l’autre et nous nous côtoyons.

 

Mais avant de te parler, il est important que tu baisses ces bras menaçants et que tu poses le bâton que tu tiens dans ta main droite ainsi que la pierre qui se touve dans ta main gauche. Pose les mon Frère, puis assieds-toi afin que la colère qui bouillonne à l’intérieur de toi, s’estompe le temps de notre discussion.

 

Permets-moi, au nom de cette fraternité qui nous lie, de te dire l’effroi dans lequel je suis quand je te regarde et que je vois ce rouge dans tes yeux. 

 

Mon frère, quel était donc ton but quand, avec ce bâton dans une main et cette pierre dans l’autre, tu as saccagé puis brûlé cette case de fortune construite en tôle et couverte de bâche ? 

 

N’as-tu pas réalisé qu’il y’avait en face de toi, dans cette case, une mère et ses enfants originaires de l’Ile sœur qui, à ta vue, pris de terreur, n’avaient d’autre alternative que de fuir pour préserver leur sécurité ? 

 

Ils se retrouvent maintenant à la rue, dans des conditions humainement inacceptables, avec les autres centaines de personnes que l’on a chassées de leurs habitations, humiliées et blessées dans leur chair et tout au fond de leur être.

 

Mon frère, nous voyons d’ici que cette situation perdure depuis plus de 5 mois, et qu’avec d’autres frères vous vous êtes érigés, dans les villages, en ce que vous qualifiez de collectifs, munis d’armes blanches et menant une véritable chasse à l’homme à l’encontre d’une population vulnérable, ciblée en raison de ses origines.

 

Mon frère, mais quel est donc ce rouge dans tes yeux ?

 

Ce que tu appelles collectif, n’est rien d’autre qu’une milice. Ce que tu dis être une marche pacifique est en réalité une expédition punitive. Ce que tu considères comme étant une action légitime contre l’insécurité et l’immigration illégale, relève en fait, de la justice privée et constitue une discrimination qui prend la forme d’un racisme dangereux. 

 

Mon frère, laisse-moi te dire que je comprends le profond désarroi et l’exaspération que tu éprouves depuis plusieurs années. Je sais que l’on t’a présenté la départementalisation comme étant la solution aux maux qu’endure la société mahoraise. Mais en réalité, ces maux ne font que s’accroître : Les mineurs livrés à eux même dans les rues de Mayotte, l’insécurité avec son lot de vols et de violences au quotidien, tout un ensemble de droits sociaux auxquels les Mahorais n’ont pas accès malgré le statut de département et cette migration qui semble devenue une fatalité.

 

Je comprends ton désarroi et ton exaspération.

 

Mais aussi excédé que tu sois, rien ne justifie ce rouge dans tes yeux et l’abime dans lequel il te plonge.

 

Ce que tu entends résoudre à travers ces actions insoutenables que tu as entreprises, n’est pas de ton ressort et tu n’en es pas responsable. Tu sais bien que ce sont les autorités françaises et comoriennes qui sont à l’origine de tes maux et c’est entre leurs mains que se trouvent les solutions.

 

Il leur suffit juste de se doter d’un peu de bonne volonté et de s’armer d’une bonne dose de courage.

 

Prends la main que te tend ton frère Réunionnais et, ensemble, avec détermination, allons frapper à la porte de ces deux autorités pour les exhorter au dialogue, un dialogue constructif en vue d’instaurer une paix sociale durable à Mayotte et dans tout l’Archipel des Comores.

 

Mais en attendant, mon frère, ce rouge dans tes yeux doit disparaître. Tu dois immédiatement mettre un terme aux exactions auxquelles tu te livres depuis trop longtemps déjà. Je t’en conjure. Car sinon, subrepticement et inéluctablement, surviendra l’escalade et tu perdras le contrôle de toi-même.

 

Ce rouge est celui qui s’était installé dans les yeux d’un peuple frère d’Afrique et qui a été le prélude à la pire des atrocités, celle survenue en avril 1994. 

 

Mon frère je te sais paisible et pacifique. Cela a toujours été ta nature en plus de la joie de vivre qui te caractérise.

 

Arrête ce que tu fais et tourne ton regard vers ces personnes, ces femmes et ces enfants qui campent à ciel ouvert sur la place de la République en plein cœur du centre ville, dans la plus grande précarité, sans l’hygiène élémentaire ni la moindre intimité et une situation sanitaire qui se dégrade chaque jour avec son lot de maladies. 

 

Ces personnes ont peur de toi.

 

Si tu ne te ressaisis pas, tu risques de perdre à tout jamais ton âme et de sortir du champ de l’humanité pour tomber dans l’inhumanité absolue.

 

Cela ne peut être concevable.

 

C’est pourquoi, mon frère, écoute cette voix qui vient de la Réunion te rappeler à la raison et prends la main qui t’est tendue pour qu’ensemble, nous sortions rapidement de l’abime.

LDH RÉUNION


M. ALI


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