Nous pensons que vouloir soutenir la cause des terres sacrées des Aborigènes d’Australie est légitime mais qu’en passant sous silence la situation préoccupante de notre patrimoine et de notre « identité Réunionnaise », c’est être un faux-porteur d’humanisme. Nous pensons qu’il y a partout du sacré. Pas seulement en Australie. En effet, bien que non liée à la notion surnaturelle du « Dreaming » qui fonde le mythe de l’apparition de la civilisation sur terre si importante pour le peuple des Aborigènes, La Réunion porte en elle les stigmates d’une culture, qui comme son voisin de la gigantesque Terra australis, a connue l’oppression, le déni et la souffrance. La Réunion a su résister pour préserver son sacré. Nous savons que pour rester sur leurs terres, les Aborigènes ont dû accepter à contre cœur d’entrer dans la logique qui n’est pas la leur mais celle des blancs. On ne peut manquer de s’identifier à leur cause bien que notre histoire est plus courte et qu’elle pèse toujours parce que sa violence anime encore fortement la mémoire collective. Rapprocher les peuples, c’est rapprocher leur histoire et leurs valeurs pour les faire dialoguer. Hors, il nous semble que ce serait une erreur de confondre valeur et empathie. La valeur valorise d’abord mais elle dévalorise aussi. L’histoire de nos valeurs qui assume notre héritage Réunionnais est l’histoire même du colonialisme. Le colonialisme a certainement détruit autant qu’il a construit. Le gouvernement Australien fait beaucoup en faveur des premiers habitants de l’Australie pour réparer les graves erreurs et a montré malgré cela leur inefficacité à combattre leurs problèmes malgré la mise en place des Land councils chargés au niveau de chaque région, de les aider à défendre leurs revendications et de négocier pour eux les droits d’exploitations des compagnies minières. « Nous autres Possessionnais de La Réunion » et de l’association ALIPA, ne pouvons mener un combat politique contre un gouvernement en faisant courir à notre ville un risque diplomatique. Comment notre ville pourra t-elle s’engager à aider ce peuple meurtri ? Comment-nous, Artistes Libres et Indépendants de la Possessionnais et d’Ailleurs, défenseurs d’une « identité culturelle Réunionnaise », pouvons-nous nous engager dans l’action publique, participer à une politique et à des dispositifs institutionnels sans risquer de perdre notre puissance de subversion et notre esprit critique. La diversité des cultures et le fait qu’elles puissent se rencontrer sont essentiels pour que l’humanité se développe et La Réunion en est un exemple manifeste mais qui subit un « empoisonnement interne » comme le dit Claude Lévi-Strauss. Ailleurs, l’herbe est certainement moins verte et notre situation est peut-être plus enviable que nos voisins mais attention, La Réunion est encore trop souvent victime de déni. A partir de la Possession, nous lançons un cri d’alarme devant l’aveuglement du politique qui ne veut pas prendre conscience de notre réalité culturelle et patrimoniale riche et complexe. Toute culture est une particularisation, une manière de se singulariser. Mais faut-il encore que le politique prenne le temps de se soucier de nous-mêmes. Il n’est pas question de négliger la diversité et le rapprochement des peuples mais faisons-nous les bons choix ? On peut faire montre d’une certaine qualité humaine et d’une noblesse de cœur sous une épaisse couche de bons sentiments mais il faut aussi se montrer à la hauteur de notre culture et de notre patrimoine.
Peintre Possessionnais
Président de l’association ALIPA