Célébration du 27 Mai
En application de la loi du 19 juillet 2013, la journée du 27 mai devient, pour la première fois dans la République française cette année, la Journée de la Résistance. Le choix du 27 mai n'est pas dû au hasard. Cette date marque en effet l'anniversaire de la création à Paris, le 27 mai 1943, du Conseil National de la Résistance (CNR), dont le premier président a été le préfet Jean Moulin. Le rôle du CNR fut de fédérer les diverses organisations de résistance créées en France au cours de la Seconde Guerre mondiale (1939 - 1945).
À cette occasion, la question que chacun d'entre nous est fondé à se poser est la suivante : y a-t-il eu à la même époque des actes de résistance à La Réunion ? Avant d'y répondre, il me paraît nécessaire de rappeler un certain nombre de faits.
La Réunion isolée du reste du monde
Après la défaite de la France en juin 1940, suivie en juillet de la même année de la prise du pouvoir par le Maréchal Pétain, dont le gouvernement s'installe à Vichy (dans le centre du pays), les Français se divisent en deux camps. D'un côté, les pétainistes, qui approuvent la décision du Maréchal de collaborer avec l'Allemagne nazie. De l'autre, les gaullistes et autres résistants anti-nazis, qui estiment que «la France a perdu une bataille mais pas la guerre». En conséquence, avec à leur tête le général Charles de Gaulle au côté des alliés, ils entendent poursuivre le combat jusqu'à la victoire.
À La Réunion, au lendemain de la défaite de juin 1940, le gouverneur Pierre Aubert choisit — comme son homologue de Madagascar — de rester fidèle au Maréchal Pétain. Le peuple réunionnais va vivre alors une des périodes les plus sombres de son Histoire.
Pendant 29 mois (juillet 1940 - 28 novembre 1942), notre pays est totalement coupé du reste du monde, en raison du blocus de nos côtes par les Britanniques. Le dénuement ne tarde pas à s'installer dans la plupart des foyers. Pour survivre, la population — surtout celle des villes — ne peut compter que sur le manioc et le sucre.
Cette malnutrition, à laquelle s'ajoutent le paludisme, les parasitoses ainsi que l'extrême faiblesse de la densité médicale et l'insalubrité des logements, provoque un bond effrayant du taux de mortalité infantile. Celui-ci passe à 388 décès d'enfants sur mille au quatrième trimestre 1941, contre moins de 10 pour mille aujourd'hui.
La répression du gouverneur
À ces privations matérielles, s'ajoute la violation des droits élémentaires de la totalité des travailleurs des services publics. Les fonctionnaires sont priés «de se soumettre ou de se démettre».
En application de la loi du 17 juillet 1940, relative à l'épuration de l'administration, 33 Réunionnais sont brutalement privés de leur emploi. Le 21 septembre 1941, le gouverneur indique à son ministre de tutelle «qu'une surveillance attentive est exercée sur les zélateurs de la politique du Front Populaire».
En outre, diverses lois permettent au chef de la colonie «de faire arrêter toutes les personnes jugées dangereuses pour la sécurité publique» ou ayant tenu des propos «contraires à l'esprit nouveau réclamé par le Maréchal pour le succès de la Révolution Nationale»...!
Pierre Aubert n'hésite pas à éliminer de son entourage immédiat tous ceux qui, comme son bras droit le secrétaire général du gouvernement, Antoine Angelini, ne lui paraissent pas assez coopératifs.
En vue de rendre plus efficace son appareil répressif, le gouverneur met en place à Saint-Denis, le 19 août 1941, une «Cour criminelle spéciale», chargée de juger les personnes poursuivies pour des délits économiques ou des délits d'opinion. Deux mois plus tard, il rassure le gouvernement de Vichy en lui annonçant ce qui suit : «j'ai renouvelé au chef de service judiciaire les directives (visant) à rendre effective la collaboration de la Cour d'appel et celle des tribunaux à l'œuvre gouvernementale»…!
Les tribunaux, pour leur part, peuvent compter sur le concours d'un réseau de délateurs, chargés d'espionner les sympathisants gaullistes.
La libération de La Réunion grâce aux travailleurs du Port
Il me faut ajouter que l'arrestation au cours du premier semestre 1942 de personnalités réunionnaises, telles Mickaël de Villèle et le prince Vinh-San, ainsi que le débarquement «ennemi» à Diego-Suarez créent à La Réunion un climat de psychose à la limite du supportable. Ce climat s'alourdit davantage, lorsqu'en mai 1942 apparaissent sur les murs de clôture de Saint-Denis des affiches géantes invitant la population au «silence».
Aussi est-ce avec un immense soulagement que les Dionysiens accueillent au Barachois les Forces Françaises Libres (FFL) arrivées à bord du contre-torpilleur le "Léopard", à l'aube du 28 novembre 1942. Ils ont la conviction que la libération de toute l'île n'est plus qu'une question d'heure.
Cette libération, tant attendue, devient effective le 30 novembre grâce avant tout à la mobilisation des travailleurs du Port en réponse à l'appel de Léon de Lépervanche.
L'heure des récompenses
La remise de médailles pour actes de résistance de juin 1940 à novembre 1942 réserve des surprises que j'ai déjà signalées dans un livre paru en décembre 1993. Surprises sur lesquelles je crois utile de revenir.
"La croix de la Libération", la décoration la plus prestigieuse après la Légion d’honneur, a été attribuée à titre posthume à Raymond Decugis. Cinq autres Réunionnais ont été décorés de la "médaille de la Résistance".
Dans ce palmarès de médaillés, ne figurent pas le nom de Léon de Lépervanche ainsi que les noms des deux jeunes qui sont morts à quelques pas des plages de Saint-Gilles, fin mars 1942, alors qu'ils accompagnaient l'agent de renseignements anglais Jones Simpson, venu à La Réunion pour repérer un lieu propice à un débarquement.
Il est bon de rappeler très brièvement qui est Raymond Decugis, promu Compagnon de la Libération dès le 25 décembre 1942. Cet ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, originaire du département du Var, est arrivé à La Réunion le 16 novembre 1940. Le poste de directeur du CPR (Chemin de fer et Port de La Réunion) ainsi que la direction des Ponts et Chaussées lui sont alors confiés par Pierre Aubert, au moment même où ce dernier entreprend «d'épurer» l'administration de la colonie. Aux quelque 2.000 agents qu'il a sous ses ordres, Raymond Decugis n'a de cesse de prêcher l'obéissance au chef de la colonie.
À son ami Émile Hugot, chargé de la défense de la côte Ouest de l'île, il offre comme lieu d'hébergement la confortable gare maritime du Port. Il met aussi à la disposition de l'officier et de ses 25 hommes de troupe un autorail, dont le blindage est effectué dans les ateliers du CPR. On a de sérieuses raisons de penser que c'est Raymond Decugis qui a pris l'initiative de cadenasser les moteurs des deux vedettes du CPR et de couler dans le chenal du port de La Pointe des Galets une drague toute neuve et deux chalands, rendant impossible tout accès aux bassins portuaires.
Voilà ce qu'il faut retenir de ce haut fonctionnaire qui, à 35 ans, trouva la mort au PR 15,5 km de la route de La Montagne «en se portant vers une batterie côtière qui tirait sur Le Léopard». Cet extrait de la citation qui accompagne la décoration de Raymond Decugis ne peut que susciter étonnement et indignation, lorsque l'on sait que le 3 novembre 1989, le lieutenant Hugot a accepté, à ma demande, de participer à une table-ronde tenue au Port et qu'à cette occasion, devant la presse, il a été catégorique : «Je n'ai pas tiré un seul coup de feu en direction du Léopard, le 28 novembre 1942».
Il faut savoir que les deux canons de la batterie commandée par Émile Hugot étaient de vieux canons de très faible portée et que, en raison de la puissance de feu du contre-torpilleur, il avait demandé à ses hommes d'abandonner la batterie et de le suivre jusqu'à la gare maritime, où ils se sont mis à l'abri.
Une pensée pour les résistants Réunionnais
S'agissant du résistant Léon de Lépervanche, je me contenterai de dire qu'il a terriblement souffert de la répression sous le régime de Vichy et que personne ne conteste le rôle décisif qu'il a joué en 1942 dans la libération de la ville du Port ainsi que celle de toute l'île.
En cette Journée du 27 Mai, nous nous devons de rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui à La Réunion se sont opposés aux pétainistes. Ainsi qu’à tous nos jeunes compatriotes qui, n'écoutant que leur courage, ont quitté leur famille et leur pays pour se rendre en Europe et se lancer dans la périlleuse aventure de la Résistance, qui mit fin à la barbarie nazie.