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Aline Murin Hoarau : L'esclavage est derrière nous, il faut regarder devant…


Culture - Kiltir
Vendredi 29 Mai 2015

​Parler de l'esclavage et des conséquences, des séquelles, nous amènent alors à soulever les questions habituelles
que doit-on réparer?
qui doit réparer ?
et ces deux questions commandent l'opportunité de la troisième question comment réparer?


On se grandit à regarder son passé en face, à l'appréhender en assumant sa part d'ombres. 

Il ne s'agit pas de remuer les cendres, ni d'accuser l'autre. 
L'esclavage est derrière nous, il faut regarder devant nous. 
L'esprit revendicatif est à bannir et détruit la réflexion.

Selon les sources historiques,  notre île est inhabitée quand les Français prennent possession et qu'elle est rapidement peuplée d'esclaves capturés en Afrique, à Madagascar et des colons  amenés de France, venant toujours en grande majorité des provinces pauvres.
Le café puis le sucre ordonnent son économie et l'esclavage structure la société. 
Une société où en 1723 l'Edit (les lettres patentes) inspirée du Code Noir des Antilles concerne les esclaves, les Noirs de l'Ile de France et de Bourbon.  

La traite des Noirs au service de l'économie esclavagiste était une opération commerciale. 
Après l'abolition de l'esclavage en 1848, les colons exigent une réparation financière pour organiser l’engagisme. 

Mais quelle réparation pour ces descendants esclaves ? 
Qui s'occupe de leur insertion dans cette nouvelle économie où l'engagisme se greffe sur une société inégale ?
La France n'a pas su organiser de réparation pour ses anciens esclaves.
Cet Etat colonisateur a axé sa politique sur la restructuration d'une nouvelle économie qui continue à mettre toutes les conditions nécessaires pour faire oublier cette période esclavagiste. Tout est organisé pour continuer à  mettre en place une autre politique économique et commerciale et surtout il ne faut plus parler de l’esclavage qui n’était plus rentable. 
Quelques repères historiques restent nécessaires pour éclairer notre réflexion

Que se passe t-il alors réellement après  1848?

Les discours républicains animent les assemblés. La Métropole, notre mère patrie organise avec l'appui de l'église une politique d'assimilation en maintenant dans la fiction l'image d'une île harmonieuse où les violences ont été atténuées par la Marianne française qui nous soutient, nous protège, nous a sauvé du joug colonial en nous civilisant. 

En fait, l'Etat républicain met tout en place pour effacer cette période sombre. 
La République a de nouveau privé les Réunionnais soit disant libres du droit à la parole, à l'expression culturelle et cultuelle. 
Et le contexte  international a facilité ce silence. 
En effet, la guerre Froide et la décolonisation placent La Réunion dans un monde libre, dans un environnement fidèle à la France républicaine, chrétienne. 
 
Puis, progressivement, les différents gouvernements successifs placent leur campagne électorale sur le thème: « La Réunion c'est la France »
La France véhicule l'image généreuse, bonne, paternaliste, donc elle ne peut pas parler de l'esclavage. Il faut oublier cette période.
Pendant toutes ces années on a donc occulté la question de la réparation.

Toute réflexion sur la culture réunionnaise est réprimée. Ce refoulement imbibé de frustrations de souffrances est favorisé  par une politique nationale assimilationniste. 
Parler de l'esclavage, du devoir de mémoire, c'est aller vers une autonomie et tourner le dos à la mère patrie. 
Pour le gouvernement de l'époque, l'assimilation est présentée comme la panacée universelle.
  
Dans ce cas: 
Le débat est clos et il n’y a aucun intérêt de parler des souffrances de nos ancêtres africains, malgaches. Les familles disloquées, converties de force, dépossédées de leur culture, désidentifiées, désociabilisées, déracinées, enchainées et vendues comme du bétail ? 
Pour les colons, ces gens n'ont pas de culture. Il n’y a que l'assimilation occidentale, française, chrétienne pour les civiliser. Voilà le discours de la République à La Réunion. 

Pendant toutes ces années , le maloya, a été considéré comme une musique de sauvage, de noirs, inventée par les esclaves. Cette musique  comme la langue créole ont été interdites à la radio, comme à la TV.
Le créole, langue maternelle, unitaire, identitaire est perçu comme un vilain patois arriéré, une langue de sauvage.

Ainsi une partie de la culture réunionnaise survit de manière souterraine.

Les lieux historiques liés à notre mémoire ne sont encore trop souvent que des vestiges abandonnés. 

L’émergence de ce pan de culture réunionnaise sera révélé et mis au grand jour par le PCR pour prouver sa proximité avec le peuple.

*1982: 20 décembre date de l'abolition de l'esclavage est un  jour férié, fêté.
Plusieurs auteurs, historiens pour ne citer que Hubert Gerbeau, Sudel Fuma, Prosper Eve…  travaillent sur les thèmes qui valorisent notre histoire. 
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*La reconnaissance du maloya en 2009 comme patrimoine matériel et immatériel de l'Unesco ouvre la voie de l'expression culturelle et cultuelle.

*Plusieurs associations telle l’association Miaro met sur la place publique la réflexion sur la pratique des servis kabaré, servis kaf dans l'espace public.          
La mise à disposition de lieux qui seront laissés à la discrétion des groupes de servis est un geste fort de reconnaissance et de respect de leur identité religieuse profonde. C’est à eux de dire ce qu’ils veulent en faire. Peut-être dans un premier temps s’agira-t-il simplement de se connaître, de se rencontrer, de se reconnaître. Il n’est pas évident de sortir des quatre siècles de fénoir et de méfiance d’une religion minorée et dévalorisée, pour pratiquer au grand jour avec aisance.
 Mais le temps est venu de dépasser les clichés esclavagistes et coloniaux qui perdurent à l’endroit de la religion des Noirs.

Il faut, pour un traitement équitable de toutes les religions et sensibilités, que les collectivités et les communes leur accordent un espace dans la sphère publique pour permettre la reconnaissance et le partage avec tous les Réunionnais. Ce petit coup de pouce à l’égard de groupes qui se sentent encore parfois les-laissés-pour-compte de la société réunionnaise sera apprécié comme un geste de réparation et d’encouragement à devenir de véritables acteurs de développement, pour eux-mêmes et pour La Réunion. 

Aline Murin Hoarau - Charlotte Rabesahala


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